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LA CENTENAIRE DE PITET

PETITE HISTOIRE D’UNE COURGE DE CHÂTEAU, UN DESTIN PARTICULIER…


Château de Pitet à Fallais en Braives


La « Centenaire de Pitet », une courge moschata miraculée


En mars 2017, je participe à la restauration du parc privé du château de Pitet[1] situé à Braives appartenant à Monsieur et Madame Jacques de Pret Roose de Calesberg. Le parc et le château est en pleine restauration depuis 2014. L’endroit est familier pour les amateurs des beaux jardins, le parc accueille des arbres exceptionnels dont un platane (Platanus x hispanica) l’un des plus gros du pays, (7 m de circonférence) et une charmille formée en berceau remarquable, classée patrimoine exceptionnel de Wallonie. Les propriétaires offrent leur ancien potager clos depuis une quinzaine d’année à une asbl qui ouvre leur porte pour une activité bien réputée de foire de jardin « le jardin des plantes patrimoniales de Pitet ».


Ma mission consistait à surveiller des travaux de terrassement. J’y étais, autant travailler ! J’ai donc vidé une ancienne et très belle écurie servant de débarras, destiné il y a longtemps pour le matériel du jardinier du château. Ayant l’âme d’un archéologue amateur je scrute dans l’ombre ce que je dois jeter dans un container, sorte de grand ventre immobile prêt à digérer un bon siècle sans respect et sans aucune retenue. Ci-et là je découvre une panoplie d’anciens outils de jardinier ayant été utilisés durant tout le 20e siècle. Mélancoliquement, je perçois bien l’usure des outils et je devine bien la main du jardinier anonyme.


Ayant fait un tri, je remarque entre une collection de pots en terre cuite empilés les uns sur les autres et des crémaillères en bois servant pour le vitrage des anciennes couches[2] de cultures, un pot nettement plus large et plus haut que les autres. Celui-ci se distingue bien parmi le lot, je m’aperçois que c’est un rare et ancien pot à cardon servant à blanchir les cardes – malheureusement cassé- en le soulevant à ma stupéfaction je découvre un papier de journal jauni par le temps, cette boule de papier m’intrigue parce que je reconnais bien le caractère du journal, je m’aperçois qu’il date de 1927, l’année de naissance de mon père, c’était facile de le retenir pour moi. En réalité il s’agissait d’un mensuel français très connu à l’époque : « La vie à la Campagne et fermes & châteaux réunis » publié par Hachette, lu entre les deux guerres par les châtelains amateurs de beaux parcs et jardins.


Ce journal d’horticulture qui se veut être « Une revue Pratique avant Tout » est passionnant à lire pour un historien, ou un sociologue on y traite tout ce qui en rapport avec la production des potagers, des nouvelles machines horticoles, le mobilier de jardin, l’immobilier, des nouvelles techniques innovantes sur l’automobile, la vie des cuisines, la chasse et la pêche, l’histoire des jardins et des reportages sur les parcs et châteaux dans la France et même la Belgique. En dépliant ce morceau d’archive du temps scellé au pot, je découvre soigneusement conservée une dizaine de graines que je pense être des semences de potiron. Je perçois immédiatement l’importance de la découverte parmi la poussière et l’obscurité, soudainement je me prends pour quelques secondes pour l’égyptologue Howard Carter, (1874-1939) ! Je découvre là des graines presque centenaires, un âge bien avant les hybridations à grande échelle, les O.G.M., et les interventions génétiques !


Pourquoi ne pas essayer de les faire revivre ? Après avoir vidé complètement ma salle au trésor, je rentre chez moi et plante fébrilement et directement ces semences dans de petits pots que je destine aux propriétaires, après tout cela leur appartient. Rapidement, après quelques jours les semences dévoilent deux bras verts sortant de terre et d’une léthargie en signe de victoire. Je connais la passion de Jacob Hasbun pour les plantes, je me dis qu’il sera bien amusé d’obtenir un bout du début du 20e siècle. Je lui lègue 6 petits pots comme une relique, en somme une nouvelle expérience de culture, je me prends pour un ambassadeur qui jadis cacherait des noyaux de cerise dans sa bouche provenant de l’Orient pour développer secrètement une culture en Occident.


En réalité, j’ai été bien inspiré puisque mes plantations dans mon potager n’ont pas été un succès vu la sécheresse, les fleurs ont gelé en novembre sans aucune production, quel déception ! Je suis un mauvais jardinier. C’est donc à Jacob explorateur du « vivant potager » de prendre la suite de l’aventure d’une semence dissimulé il y a 90 ans par un jardinier qui, on veut bien le croire, était courbé par son travail.


Je laisse ensuite à Jacob vous raconter la finalité de cette aventure peu commune.




Emmanuel d’Hennezel



❀❀❀



Il est de fait que l’on ne trouve pas souvent des graines de courge vieilles de cent ans en état de s’extraire d’une si longue léthargie et de germer – c’est même une ocurrence extrêment rare, frisant l’invraisemblable. Pourtant voilà une ocurrence pouvant appartenir au réel, puisque elle a eu lieu sans aucun doute l’année dernière, comme Emmanuel d’Hennezel, le trouveur des graines, et moi-même, nous avons pu le constater. Comme face à l’extraordinaire deux vérifications indépendantes valent mieux qu’une, ça tombait bien, nous étions deux à assister au prodige. Je continue son récit de l’expérience là où il l’a laissé pour les raisons qu’il a invoquées.


En recevant de ses mains les six petits pots contenant les graines de courge de notre étrange histoire, ce qui m’a frappé d’abord c’est le poids de ces pots. J’ai constaté, avec un début d’alarme, qu’Emmanuel avait livré ces précieuses semences non pas à un terreau léger et moelleux, comme la prudence l’aurait suggéré dans un cas pareil, mais à une terre glaiseuse et lourde, apte seulement, me disais-je, à oppresser les premiers vagissements des faibles créatures qui, par pur miracle, on aurait pu espérer voir se manifester.


Convaincu donc que ce faisant Emmanuel avait sérieusement compromis les chances de réussite de l’expérience, j’hésitai un moment à me laisser gagner par l’attente du merveilleux qui m’envahit tout naturellement chaque fois que je sème. Je recouvris les pots avec un film plastique et les plaçai sur une étagère dans un coin sombre de ma remise de jardinier, me promettant faiblement de passer les voir de nouveau après quinze jours. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque, presque par hasard, mon regard se posa sur ces petits pots à peine une semaine plus tard! Je vis avec effarement que le film plastique était très tendu, comme si ayant été soulevé de l’intérieur : mais par quoi? Et avec tant de vigueur? Des souris qui seraient passées par là? Hypothèse fugace, et la seule qui a eu le temps de me traverser l’esprit, car sur-le-champ je soulevai le film plastique pour découvrir dans chacun d’eux ces « deux bras verts sortant de terre et d’une léthargie en signe de victoire » qui ont tant surpris Emmanuel dans sa propre expérience. En moins de sept jours, ces graines de courge avaient donc pu se réveiller d’un sommeil centenaire, croître prestement de huit centimètres et, impatientes de vivre et cherchant à se déployer, faire du grabuge sous le film plastique!


Je n’avais jamais vu, de ma vie d’horticulteur, une telle vigueur chez des plantules à peine écloses! J’avais l’impression de vivre en ce moment l’histoire de Jack et le haricot magique! Dans les semaines et les mois qui suivirent, ces six plants ont été, bien compréhensiblement, le centre de toute mon attention. Deux ont été placés, par souci de vigilance, dans de grands pots de 60 cm de diamètre et tout près de la maison, et les quatre autres en pleine terre.


Trois constatations principales se dégagent pour moi de cette passionnante expérience avec des graines miraculées, revenues d’un si long sommeil et contemporaines de nos aieuls, de Raymond Poincaré, de Mussolini, du maréchal Hindenburg.


D’abord, la vigueur extraordinaire des plantes qui en sont issues. Semées vers la fin du mois de mai, elles avaient un retard d’un mois et demi par rapport à d’autres spécimens de courge poussant dans mon potager, semés en mars; et pourtant elles les ont rapidement dépassés tous par la longueur (jusqu’à 5 mètres) et l’envergure de la plante, la largeur des feuilles, l’exubérance de leur ramification, et la quantité des fruits qu’elles ont portés à maturité – en moyenne sept par pied.


Deuxième constatation: leur port dressé et leur moindre dépendance à l’arrosage, même en pot.


Troisième constatation: leur santé. Leur feuillage est resté inentamé par des attaques fongiques (moisissures blanches) et bien vert plus longtemps – jusqu’à la mi-septembre – que chez les autres variétés de courge.


Je me suis dit souvent, en les trouvant si puissantes et si superlativement épanouies, que quelque chose en elles, dans leur énergie, dans leur vigueur, ne correspondait décidément pas au niveau moyen de puissance vitale, pour l’appeler ainsi, des nos légumes d’aujourd’hui – après cent ans de folies et de dégradations commises sur la nature par les apprentis sorciers qui sévissent dans notre civilisation technologique. J’avais le sentiment très distinct de me trouver en face d’une autre énergie, d’une ancienne énergie, celle qui prévalait chez les plantes potagères des années vingt du siècle passé. C’était de quoi me donner le frisson: voilà donc, tangiblement, sous mes yeux, le degré d’affaissement de la vitalité moyenne de nos plantes potagères, révélé par la comparaison avec ces échantillons d’un autre âge. Les inquiétantes conséquences de cent ans de dégradations et d’altérations, de folles dénaturations accomplies sur le patrimoine génétique et variétal des nos plantes alimentaires par la logique techno-industrielle – logique en rupture totale avec les traditions et qui a débuté en Allemagne au troisième tiers du XIXème siècle (Liebig et ses épigones…) -, me semblaient être bien illustrées par le contraste saisissant entre l’ancien, ces spécimens issus de graines de cent ans, et le moderne, représenté par les autres variétés présentes dans mon potager.


Et que dire de l’expérience en termes botaniques? Sans difficulté, je compris qu’il s’agissait d’une courge de la sous-espèce moschata (Cucurbita moschata); plus tard, lorsque les premiers fruits se formèrent, je réalisai qu’il s’agissait d’une variété de Butternut. La « Waltham Butternut »? Hypothèse confortée lors d’une première dégustation, sept semaines plus tard. Or, d’après mes enquêtes, cette variété de Butternut fit sa première apparition dans les années 1940 dans le Massachusetts! Comment expliquer que des Waltham Butternut fussent cultivées dans une province belge quinze ans plus tôt? Étaient-elles les ancêtres de ces Butternuts modernes? S’agit-il de la Canada Crookneck, dont on croit savoir qu’elle a servi dans les expérimentations menant à la Waltham? Peut-être s’agit-il de la variété Carrizo, variété ancienne qui est très cultivée dans la région de Sonora, Mexique[3]?


Qui saurait l’affirmer avec certitude?


Quoi qu’il en soit, pour nous, désormais, c’est la « Centenaire de Pitet »(Cucurbita moschata, var. butternut, « Centenaire de Pitet »). Elle est déjà répertoriée dans le premier catalogue (20148) de la grainothèque Semance, une nouvelle initiative citoyenne à Bruxelles oeuvrant dans le sens de la pérennité des variétés traditionnelles et de l’autonomie en matière de semences, assez menacées par l’agro-business et les règlementations européennes.




Jacob Hasbun


 [1] Parc réalisé par Jean Gindra (1788-1866) un grand dessinateur de paysage d’origine allemande provenant du duché de Nassau, il réside à Tilleur dès 1835, et meurt en 1866. Il réalisera plusieurs projets dans le royaume de Belgique ; dont Gasthuisbos (Herk de Stad) en 1840, Mianoye (Assesse) en 1850, Loppem en 1851, Waleffe en 1852, le parc de la Boverie à Liège en 1857, Het Lummen à Hasselt en 1863.
[2] Logement rectangulaire où l’on dispose du fumier recouvert de terreau destiné à favoriser la culture de certaines plantes par la chaleur que dégage le jeune fumier de cheval.
[3] Catalogue Semences de Kokopelli, Dominique Guillet, édition 2014, page 350.

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